Dans le salon d’honneur ivoirien, tout était symbole à l’occasion de la réception du Général Mamadi Doumbouya dans la journée du 17 juin 2025 aux environs 12h. Les rideaux filtrent la lumière du jour, le velours rouge du canapé tranche avec l’austérité du marbre. Deux(2) chefs d’État apparaissent côte à côte, non pas face à face. Le Général Mamadi Doumbouya, président de la transition guinéenne, et son hôte, le président Alassane Dramane Ouattara. En communication ce n’est pas une simple visite d’amitié ; mais une mise en scène soignée par le protocole ivoirien, une communication diplomatique bien orchestrée où chaque geste reflète un message.
Le poids des gestes, une grammaire silencieuse
Dès leur rencontre et les premières poignées de main, tout est dit. Ouattara sur les images couvre le bras du Général en civil avec sa seconde main, un geste de bénédiction paternel en politique. Comme réponse, le Guinéen ne tarde pas, lui, à pencher légèrement la tête, dans une attitude d’humilité assumée, mais sans effacement. C’est le respect sans soumission et la reconnaissance d’un aîné sans renoncement à la souveraineté de son pays.
Le choix vestimentaire, lui aussi, envoie un message clair : les deux(2) dirigeants [Guinéen et ivoirien] arborent des costumes bleu roi, couleur de la confiance et de la stabilité de part et d’autre. La ressemblance est frappante, presque volontaire et voulue. C’est une manière de dire au monde qu’il y a bel et bien une amitié, des intérêts économiques et sociaux entre les deux(2) peuples qu’ils[les deux présidents] représentent, donc les peuples devraient parler d’une seule voix.
Avec cette uniforme de couleur, pas de contraste vestimentaire, pas de détail pour suggérer un écart hiérarchique. La diplomatie s’habille à l’identique. Cet acte est synonyme d’égalité et de fraternité de part et d’autre. Les images suivantes renforcent cette lecture. Les deux(2) hommes d’État après les salutations s’installent sur un même canapé et non pas dans deux fauteuils distincts. C’est la diplomatie de proximité, les relations de fraternité seculaire. Les deux hommes veulent expliquer à travers cette gestuelle que la Guinée et la Côte d’Ivoire sont liées par la géographie et l’histoire. Deux pays du grand Wassolom de l’Almamy Samory Touré.
Assis côte à côte, ils rient, s’ouvrent, décrispent les corps et les esprits dans une atmosphère décontractée. Pas de geste de tension, cela est visible. On ne voit aucune jambe croisée en défense, moins encore de mains cachées volontairement ou involontairement. Ici, on ne cache rien. Cette communication non verbale envoie un message sans équivoque: « on peut se parler avec sincérité entre jeune frère et aîné politique », comme pour dire que la confiance est au rendez-vous.
Même sur le podium, lors du point de presse conjoint, ce décor était perceptible, le positionnement semble équilibré. Sur les images, on voit deux(2) pupitres identiques, parfaitement alignés à proximité avec des logos respectifs des deux(2) pays mis en valeur et une distance bien maîtrisée. M. Doumbouya, pourtant physiquement plus imposant, veille à se courber ou à se pencher légèrement vers son interlocuteur lorsqu’il s’adresse à celui-ci. Le chef militaire venu de Conakry se veut accessible diplomatiquement. Il laisse son sabre aux vestiaires et revêt un langage du dialogue et celui de la politique au vrai sens.
L’alliance par le geste, un message politique fort
Cette visite dépasse les protocoles classiques. Elle met en lumière un basculement stratégique et Géopolitique. La Guinée, isolée depuis le coup d’État du 5 septembre 2021 par certaines nations, tend la main dans un contexte de crise interne, même si cela ne se voit sur ces images. Et c’est Ouattara, le président civil à l’expérience redoutée et respectée par certains Africains et recusée par d’autres, à cause d’un 3ème mandat et éventuellement d’un 4ème en suspens qui la saisit. Le geste dépasse une simple courtoisie : il devient une caution politique, un parrainage présumé.
En affichant cette proximité, Ouattara crédibilise la transition guinéenne pour certains. Le politique controversé de la sous-région, pourrait-il murmurer à l’oreille du tombeur d’Alpha Condé, un de ses frères et ex- conseiller politique? Ce proche d’Alpha Condé serait- il le nouveau conseiller de l’homme fort de Conakry? Le Général Doumbouya s’engage à mots choisis avec des gestes nets sur un calendrier électoral : référendum constitutionnel en septembre et élections générales 2025.
Ces images sont loin de cerner ce nouveau positionnement. Pourtant ici, chaque mouvement corporel renforce ses engagements. Il n’y a pas de tension, pas de prise de distance, pas de mimique de méfiance. Les visages sourient franchement, les regards sont directs. C’est une diplomatie assumée. Autres constats, la différence de taille entre les deux hommes est palpable. M. Doumbouya dominant nettement son hôte est intelligemment neutralisée. Aucun artifice pour rehausser Ouattara, aucun écrasement symbolique. L’un règne par l’expérience, l’autre s’impose par la stature, les deux partagent la scène sans rivalité. C’est un équilibre de postures, une chorégraphie du respect et de la considération réciproque.
Une diplomatie spectacle maîtrisée?
À l’ère du numérique, la diplomatie se joue aussi sur les réseaux, non pas uniquement à travers la lucarne joyeuse. Cette communication bien calibrée est une illustration: photos de qualité, moments de complicité, plans mesurés, formats courts diffusés en stories par la Présidence de la République Ivoirienne. L’impact visuel est immédiat. Une poignée de main franche, un rire partagé, en moins de dix secondes, le message est absorbé par les foules des deux pays. C’est la nouvelle grammaire du pouvoir et de la diplomatie stratégique.
Derrière l’esthétique, les annonces sont lourdes de sens : soutien logistique au processus électoral guinéen, relance de la Commission mixte ivoiro-guinéenne, projet de corridor économique entre Conakry et San Pedro, coopération sécuritaire sur la frontière Lola- Côte d’Ivoire, plaidoyer commun pour la réintégration des pays de l’AES dans le giron d’une CEDEAO en morcellement. Ces annonces fortes s’ancrent dans les gestes. Elles sont crédibilisées par la posture, la sincérité corporelle, l’aisance scénique. À aucun moment le regard ne fuit et c’est peut-être là que se joue l’essentiel dans l’alignement du corps et de la parole.
En diplomatie, le geste ne suffit pas à faire foi sur des questions qui divisent
L’effet d’image est fort incontestable. Mais la vigilance et le sens des mots choisis s’imposent. Car la diplomatie du geste ne peut masquer, à terme, le retards dans l’exécution des dix(10) étapes de la transition, le manque de dialogue tant réclamé par une partie de l’opposition dispersée et étouffée, les disparitions forcées, les ruptures d’engagements politiques avec la communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest(CÉDÉAO).
Dans son narratif Ouattara en faisant allusion à ces sujets a exprimé un souhait: « Je souhaite bien évidemment l’apaisement en Guinée, pour permettre des élections apaisées, comme nous avons l’intention de le faire en Côte d’Ivoire ». Donc, le message est clair: les urnes doivent parler, et parler à temps. Le peuple de Guinée attend plus que les poignées de main photographiées. Il attend des bulletins de vote et une élection inclusive. Mais à quand précisément? Et à quel prix? C’est là où il y a le grand défi.
L’opposition fracturée de son côté observe cette nouvelle alliance et ce soutien de taille. Acceptera-t-elle ce parrainage? Y verra-t-elle un appui sincère à la démocratie ou un simple habillage politique? La CEDEAO, fragilisée par les frondes sahéliennes, saura-t-elle transformer ce duo Ouattara-Doumbouya en modèle régional? Ou va- t-elle pour une énième fois rougir sans agir? Autant de questions sans réponses qui alimentent les débats.
Images diplomatiques comme promesses politiques?
À Abidjan, le Général Guinéen et le président Ivoirien ont démontré que la diplomatie moderne se joue autant par les gestes que par les textes. La posture, la tenue, les regards, les mains tendues, le décor, tout a été codé, pensé et transmis. C’est une leçon de communication politique et diplomatique maîtrisée de bout en bout. Mais le défi commence maintenant : transformer ces images en réalités. Car, si les symboles façonnent la perception, ce sont les actes qui écrivent l’histoire. Et cette dernière retiendra, non pas les photos, mais les prochaines élections inclusives pour fermer la parenthèse de la transition guinéenne.
N’Faly Guilavogui, Journaliste Éditorialiste politique, Mastérant en Communication Politique et publique, Administrateur général du site Investigatorguinee.